Des vénézuéliennes victimes de traite de personnes à Pétion-Ville (Haiti)

Voici le texte texte de la conférence de presse donnée par le GARR et l’Observatoire le 12 aout 2020 autour du dossier de la traite des personnes à Pétion-Ville

Entre le samedi 1er août et le lundi 3 août 2020, la police judicaire a identifié 20 victimes de traite de personnes qui seraient sexuellement abusées dans une maison de prostitution connue sous le nom de « La Mansion» ci-devant « Casa Grande ». Située à Péguy-Ville, commune de Pétion-Ville, cette institution est dirigée par M. Reginald Dégand et Mme Ginne Ortuño, une Vénézuélienne qui serait aussi sa femme.  

Lors de la première opération dirigée par le Magistrat Clément Noël en date du premier août 2020, les autorités judiciaires ont facilité la sortie des lieux de neuf (9) Vénézuéliennes victimes de la traite des personnes. Cependant, aucune arrestation n’a eu lieu en dépit de la présence dans l’espace de certains responsables.  

Autre chose à signaler, les documents de voyage (passeports) des victimes sont confisqués par Mme Ortuño, l’une des responsables de « La Mansion» sous prétexte que les victimes ont des dettes à rembourser à son institution.  

Le samedi 1er août 2020, le Comité National de la Lutte contre la Traite des Personnes (CNLTP), qui intervient dans cette affaire, a pris contact avec Me Frantz Louis Juste, le Substitut Commissaire du Gouvernement près du Parquet de Port-au-Prince qui est chargé du traitement des cas de traite des personnes. Ce dernier a déclaré que l’intervention de Me Noël en tant qu’Officier de Police Judiciaire a eu lieu sur réquisition d’une organisation internationale.  

Les victimes libérées de « La Mansion » sont prises en charge par cette organisation internationale.  

Le lundi 3 août 2020, Me Frantz Louis Juste s’est rendu à la maison de prostitution en compagnie de deux membres du CNLTP en vue de récupérer les passeports des victimes entre les mains des présumés trafiquants. Arrivé sur les lieux, Mme Ortuño a catégoriquement refusé de remettre les documents. Sous l’ordre de Me Louis Juste, les policiers présents ont procédé à son arrestation ainsi que 11 autres ressortissants étrangers dont 3 hommes et 8 femmes. Ces derniers ont été conduits au Commissariat de Pétion-Ville. Ce n’est qu’après maintes exigences du Substitut Commissaire du Gouvernement que Mme Ortuño a décidé de remettre les passeports qu’elle avait confisqués. Chose bizarre : Me Louis Juste a ordonné la libération de la présumée proxénète immédiatement après. Ce que l’Observatoire et le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR) dénoncent avec la dernière rigueur.  

Concernant les 11 autres étrangers,  dans la phase de leur identification au Commissariat, ils ont tous déclaré qu’ils n’ont pas de pièces d’identification avec eux. Leurs passeports se trouvaient à « La Mansion ». Sur une feuille blanche où ils ont inscrit leurs noms, on peut identifier 4 Dominicaines, 4 Vénézuéliennes et 3 Vénézuéliens.  

Itinéraire : Les victimes potentielles de la traite sont venues du Venezuela et du Pérou en passant par la République dominicaine pour arriver en Haïti. L’une d’entre elles est venue directement du Venezuela. Elles ont entre 6 mois et un an en Haïti en exploitation.  

Recrutement : Certaines des victimes de la traite savaient qu’elles venaient en Haïti pour se prostituer. Cependant, elles n’étaient pas au courant des conditions réelles du système d’exploitation puisqu’elles étaient forcées de se droguer, de boire de l’alcool, d’avoir des relations sexuelles non protégées. Pour d’autres, c’est la promesse de travail en Haïti qui les a portées à se déplacer. La personne qui les a contactées initialement est un ressortissant vénézuélien. Elle leur a offert des opportunités d’emploi pour améliorer leur situation financière. Quelques-unes des victimes parlent d’un accord préalable qui n’a pratiquement aucun rapport avec les activités quotidiennes de « La Mansion».  

Contrat de travail : L’accord indiquait apparemment une dette initiale allant de 1 500 USD à 2 500 USD de la part des victimes présumées de la traite (y compris le transport, l’hébergement, etc.) et les règles qu’elles devaient respecter. Le prétendu contrat n’indiquait pas les salaires car elles devaient d’abord payer la dette initiale. Les victimes étaient maltraitées si elles refusaient d’être abusées.  

Formes de violence subies: Insultes, injures, menaces (en leur disant « Haïti est un pays sans lois. On tue les gens pour 100 USD, pression avec armes à feu dans le club... »), abus sexuels, manque de nourriture, manque de soins médicaux, entre autres. Le trafiquant a pris des photos et des vidéos des victimes potentielles de la traite. Ces photos et vidéos ont été partagées par le trafiquant.  

Recommandations  

En se référant à la loi haïtienne sur la lutte contre la traite des personnes publiée le 2 juin 2014 dans le journal Le Moniteur, au terme de l’article 1.1.1, tous les indicateurs sont réunis pour qualifier de traite des êtres humains le cas des femmes vénézuéliennes victimes de graves exploitations dans la maison de prostitution « La Mansion ».  

De ce fait, l’Observatoire et le GARR exigent :  

1.      au Substitut Commissaire du Gouvernement près du Parquet de Port-au-Prince, Me Frantz Louis-Juste, de donner des explications claires et convaincantes sur sa décision de libérer si rapidement Mme Ginne Ortuño.  

2.      au Commissaire du Gouvernement a.i. près du Parquet de Port-au-Prince, Me Ducarmel Gabriel, de mettre l’action publique en mouvement contre les trafiquants et leurs complices.  

3.      au Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Me Rockfeller Vincent, de prendre des sanctions disciplinaires contre tous les auxiliaires de la justice qui interviennent avec légèreté dans ce dossier.  

4.      au Comité National de Lutte contre la Traite des Personnes (CNTLP) de s’assurer que les victimes soient protégées et réparées selon la loi haïtienne en la matière et les conventions y relatives.  

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